Amphore à huile poissée

Qu'est-ce que l'archéologie biomoléculaire ?

Les objets découverts en contexte archéologique sont souvent étudiés par une combinaison d’approches classiques regroupant la typologie, l’épigraphie, l’aspect et la composition chimique (minérale) des pâtes céramiques, pierres, métaux ou verres constituants, ou encore les sources écrites et iconographiques. Si l’on peut par exemple en déduire la provenance par l’utilisation de telle argile au préalable étudiée et mise en relation avec un territoire donné, les indices directement témoins de leur contenu sont très rarement visibles et ont été peu étudiés jusqu'à récemment.

Concernant les amphores, les hypothèses établies par H. Dressel (1899) et ses successeurs permettaient de distinguaient les amphores à vin des amphores à huile, mais sur quels critères ? La conservation de traces de poix appliquée comme imperméabilisant sur les parois internes du récipient, compatible avec les contenus aqueux, dans ce cas le vin ; mais suivant les contextes d’enfouissement, celle-ci peut disparaître. Le poissage ne permet pas, à lui seul, de distinguer le vin des autres contenus aqueux : garum et autres sauces de poissons, salsamenta et conserves de poissons ou de viande, etc. Aussi, on a pu montrer récemment par l'étude de séries conséquentes d'amphores à huile provenant de différents sites, que le poissage était systématique, même pour contenir de l'huile (Romanus et al., 2008 ; Garnier et al., 2011).

Dans un souci de pertinence et de précision, la détermination du contenu d'un objet, sa fonction, son usage, doivent faire appel à des méthodologies précises, mettant en oeuvre des protocoles et des techniques analytiques sensibles mais aussi adaptés aux marqueurs moléculaires recherchés. Déterminer le contenu d'une amphore ou de tout autre objet ne peut donc se faire que par l'étude directe du matériau, ou de ses traces souvent invisibles, piégées dans les parois.

Saint-Médard-des-Prés

Les toutes premières analyses

L’identification sûre du contenu nécessite obligatoirement la détection de ses molécules constitutives (biomarqueurs). Les tests chimiques menés sur des résidus résineux ou gras retrouvés dans des vases en verre de la tombe de Saint-Médard-des-Près par le savant E. Chevreul (1848), ou les vases en albâtre de la tombe de Toutankhamon (Chapman, 1926), ont permis de caractériser le matériau globalement par son odeur, ses propriétés acido-basiques, un point de fusion, une solubilité sélective suivant les solvants utilisés, etc. Mais aucune identification précise de matériaux biologiques n'a été possible.

Les développements analytiques : années 1970

Il fallut attendre le développement de techniques plus précises, sélectives et sensibles, relevant de la chimie analytique, pour aboutir aux premières identifications directes et complètes. Les marqueurs ne sont jamais analysés directement, mais prélevés, extraits et analysés une fois mis en solution. Les molécules du mélange sont alors séparées une à une par chromatographie, méthode dite séparative. Elles sont identifiées par rapport à des molécules standards. Ainsi de l’acide oléique et de l’acide gallique ont été identifiés dans des parois d'amphores (Formenti, 1976).

La révolution de la GC-MS : années 1990

Ce n’est véritablement que dans les années 1990 avec le développement de la spectrométrie de masse, que l’analyse a donné accès à des matériaux variés : huiles, graisses, cires, résines, vin. Cette technique, dite structurale, permet d’identifier chaque marqueur moléculaire grâce à son spectre de masse. Il n'est plus nécessaire d'avoir recours à des standards commerciaux. Le couplage GC-MS permet alors de séparer tous les marqueurs d'un mélange complexe, et de les identifier un à un.

Les associations moléculaires identifiées permettent alors de remonter aux sources biologiques, de préciser l’état de conservation-dégradation du matériau et d’obtenir des informations sur la chaîne opératoire des matériaux.

N. Garnier (2010). Une histoire de l’analyse chimique des parfums archéologiques : 160 ans de développement scientifique. In: "Les huiles parfumées en Méditerranée occidentale et en Gaule, VIIIe siècle av.-VIIIe siècle apr. J.-C.", sous la direction de D. Frère et L. Hugot, Presses Universitaires de Rennes, p. 61-71.