Clermont Fontgiève FGS - Hadès Archéologie 2012

Clermont-Ferrand, fouilles Hadès archéologie 2012 : conservation d'un plancher de bois

Méthodes naturalistes : microscopie optique, microscopie électronique à balayage de bois en coupe et de phytolithes

Matière organique : pourquoi se conserve-t-elle ?

Les vestiges découverts sur les chantiers de fouilles archéologiques témoignent de l’utilisation systématique de matériaux organiques par les hommes au cours des siècles. Utilisés depuis les temps préhistoriques, ils peuvent provenir soit du règne animal et sont constitués de matières osseuses ou kératinisées en général, soit du règne végétal, comme l’atteste la découverte de graines et de noyaux, souvent carbonisés, de charbons de bois, cendres, phytolithes.
Ces matériaux doivent leur conservation à leur fraction minérale importante, ou à leur structure moléculaire compacte et totalement hydrophobe qui les protègent des attaques enzymatiques et de toute agression physico-chimique du milieu extérieur. Si les tissus kératinisés — poils, cheveux, ongles, corne — en sont les meilleurs exemples pour le monde animal, les bois, écorces, feuilles et fruits des végétaux peuvent aussi être préservés. Ils doivent leur subsistance à la conservation tout au moins partielle de leur structure moléculaire, mais aussi de leur morphologie à l’échelle micro- ou macroscopique.
La rigidité des structures est assurée par deux phénomènes : la calcification, consistant en une microcristallisation de calcite sur trame de cellulose, ou la silicification, caractéristique des plantes supérieures se distinguant par des dépôts de silice, de calcite ou d’oxalate de calcium dans des organites spécifiques de la plante (vacuoles, parois lignifiées de cellules « cristalliques » des arbres) [Robert:1998, pp. 130-132]. Les phénomènes de carbonisation, i.e. de minéralisation anthropique par chauffage ou de minéralisation suivant des processus post-dépositionnels de fossilisation, sont aussi garants du caractère inhérent biorésistant du matériau, dont dépend la conservation d’une fraction de la matière organique constitutive de ce matériau biologique originel. À des échelles de temps plus longues, de l’ordre de quelques siècles, les matériaux peuvent aussi acquérir eux-mêmes une biorésistance par vulcanisation par exemple, entraînant la formation d’un matériau organique homogène amorphe. Ce procédé, dont seuls les premiers stades sont visibles à notre échelle, caractérise les fossilisations sur plusieurs milliers d’années, conduisant à des composés riches en hydrogène appelés matières pétrolières [Boussafir:1997 ; Murray:1999]. La subsistance des morphologies originelles permet une identification des restes d’après des méthodes naturalistes.

Conservation et dégradation des matériaux organiques

Conservation et dégradation des matériaux organiques

Matérieux organiques amorphes

Des substances organiques, désignées sous la locution générique de « caramels de cuisson » par les archéologues pour les céramiques culinaires, sont souvent retrouvées mêlées au sédiment ou adhérant aux parois de poteries. D’aspect généralement sombre et ne présentant aucune morphologie, ces matériaux sont dits matériaux organiques amorphes. Ils peuvent être amorphes à l’origine, comme les exsudats d’arbres (résines-gemmes) ou les productions animales (cire, miel, produits laitiers), ou être issus de matériaux biologiques structurés à l’échelle microscopique ayant perdu leur morphologie à la suite de divers processus d’élaboration, d’extraction, etc. Ces vestiges archéologiques sont souvent témoins d’une activité humaine et leur analyse permet non seulement d’identifier le matériau biologique originel, mais aussi de documenter les différentes chaînes opératoires mises en œuvre par l’homme.

Les matériaux organiques découverts sur les sites archéologiques présentent donc une nature minérale, organique ou mixte, et un aspect structuré ou amorphe (figure ci-contre). À cette diversité de structures macroscopiques et moléculaires, et compte tenu des états plus ou moins avancés de dégradation des matériaux organiques, les méthodes analytiques applicables à leur étude relèvent de techniques et de méthodologies extrêmement diverses. Afin de répondre à une problématique d’ordre chronologique (datation au 14C), technologique ou environnemental, il convient de définir clairement le choix des matériaux organiques étudiés, dans un cadre spatio-temporel délimité. Des méthodologies d’analyse visant à détecter, identifier et caractériser moléculairement des matériaux biologiques particuliers à différents stades de dégradation peuvent alors être développées.

Echelle d’observation

Matériaux structurés

Matériaux amorphes

Echelle macroscopique

Matériaux carbonisés
(graines, noyaux, pains,…)

Agrégats libres dans le sédiment

Matériaux conservés en milieu anaérobie ou aride
(bois, écorces, cordes, tissus,…)

Adhésifs sur des outils lithiques

Encroûtements et dépôts solidifiés au fond de céramiques ou de vases fermés

Enduits et engobes de matériaux divers (céramique de consommation ou de transport, paniers, cordes)

Echelle microscopique

Pollens, grains d’amidon

Résidus piégés dans des anfractuosités de céramiques ou d’objets

Echelle moléculaire

Imprégnations des parois poreuses des céramiques ou du sédiment

Exemples de types de matériaux structurés et amorphes retrouvés en contexte archéologique.

Dégradation des matériaux organiques

Dégradation des matériaux organiques

Epave Sud-Perduto, Corse

Pépins de raisin et résidus de defrutum

Les origines des matérieux organiques amorphes

Les matériaux organiques amorphes retrouvés en contexte archéologique ont deux origines : les uns peuvent provenir de matériaux originellement amorphes, les autres, matériaux biologiques structurés, ont pu perdre leur morphologie par action de l’homme ou par dégradation post-dépositionnelle.

Les matériaux originellement amorphes ne présentent aucune morphologie, quelle que soit l’échelle ou la date d’observation par rapport à leur genèse. Dès leur apparition, ils ne présentent aucune structure moléculaire organisée pouvant conduire à la naissance de structures supramoléculaires. Si certains matériaux sont naturellement amorphes comme les résines-gemmes, les graisses ou la cire d’abeille, d’autres le deviennent après diverses transformations anthropiques : c’est le cas des produits d’extraction, tels les huiles et les jus de fruits obtenus par pressurage, ou le miel, recueilli par décantation et écrémage de la cire. Les produits manufacturés nécessitent la mise en oeuvre de procédés technologiques plus complexes : maîtrise de procédés fermentaires pour l’obtention de fromages, de pains et de galettes ou de vins et de bières, techniques de distillation pour la fabrication d’adhésifs ou d’imperméabilisants goudronneux.

Les autres matériaux amorphes résultent de la perte de morphologie de matériaux structurés sous l’effet d’actions anthropiques (c’est le cas des résidus goudronneux produits à partir de bois), ou de la décomposition de ces mêmes matériaux. Constituant les organismes vivants, ces matériaux sont formés de matière organique, molécules sans vie. Quand ces molécules sont isolées et examinées individuellement, elle obéissent aux lois de la physique et de la chimie décrivant le comportement de la matière inanimée. En revanche, à une échelle supramoléculaire, les organismes vivants possèdent d’extraordinaires facultés tant du point de vue physico-chimique que biologique. Les molécules s’organisent en structures microscopiques très complexes, donnant naissance à des cellules et à des organismes qui interagissent entre eux, non seulement selon les lois familières de la chimie, mais aussi selon des principes plus globaux réunis sous le terme de logique moléculaire du vivant. À la mort de l’organisme, cellules, organites et molécules perdent leur faculté de communication et retournent à leur état initial d’entités individuelles. La cellule redevient en grande part lipides, sucres, protéines, et sels minéraux, c’est-à-dire des matériaux organiques amorphes. Seules quelques rares structures particulièrement hydrophobes (kératines) ou polymérisées (lignines) subsistent. Cette dissociation est accentuée par les phénomènes de dégradation conduisant à la perte totale de la morphologie d’origine. Composés à haute valeur nutritive, ces matériaux représentent une source d’énergie considérable pour tout organisme hétérotrophe capable de les assimiler, tels les micro-organismes présents dans le sédiment. Ce dernier type de matériau ne sera considéré que lorsque son étude viendra à l’appui de la compréhension des résidus organiques amorphes.

N. Garnier (2003). Thèse de doctorat (introduction).

Dépôt au fond d'une oenochoeBloc d'encens du Yémen

Macrorestes macroscopiques

dépôts fins sur les parois

Imprégnations de pierre et céramique

Dépôts invisibles sur les parois internes

Les différents types de résidus organiques

L’observation à l’œil nu et/ou au microscope optique permet de classer les échantillons suivant leur nature structurée ou amorphe.

1. Les matériaux biologiques présentant une morphologie conservée font l’objet d’études particulières : en effet, l’examen naturaliste de ces échantillons (pépins de raisin, olives, carbonisés ou imbibés, pollens, etc.) permet leur identification. Leur analyse chimique qui n’apporte pas d’autres éléments d’identification, permet néanmoins de déterminer le degré de conservation et la structure moléculaire de leurs constituants chimiques, et ainsi enrichir notre connaissance des matériaux archéologiques morphologiquement préservés.

2. Les matériaux organiques amorphes présentent différents aspects :
- macro-restes macroscopiques et agrégats individualisés pouvant être séparés du sédiment par flottation ou directement identifiables dans des récipients. Ils sont prélevés tels quels, ou en partie à l'aide d'un scalpel.
- résidus adhérant aux parois des récipients que l’on peut facilement prélever à l’aide d’un scalpel (poix servant d'agent imperméabilisant pour les amphores, coulures épaisses, etc.)
- d’autres sont caractérisés par une couleur noire et un aspect luisant mais leur application en film fin ne permet pas leur prélèvement direct. On rangera dans la même catégorie les imprégnations de pâtes céramiques et autres matériaux poreux (grès par ex.). Le prélèvement se fait alors "en aveugle", en prenant le maximum de précautions pour éviter toute pollution organique externe. Au laboratoire, ils sont ensuite extraits par des solvants organiques après broyage.
Des prélèvements organiques peuvent être effectués sur des objets autres que céramiques : le métal, le verre, les vases lithiques ou en céramique vernissée imperméable par exemple. Dans ce cas, on procèdera préférentiellement à un prélèvement graduel au laboratoire : scapel puis application directe de solvants adaptés. Le même type de démarche doit être appliquée dans le cas d'objets de musée intacts où l'intégrité esthétique de l'objet doit absolument être préservée.

Dans tous les cas, avant le moindre prélèvement, il est indispensable de :
- définir les problématiques archéologiques,
- sélectionner les objets à analyser d'après les critères archéologiques et chimiques établis en commun accord entre l'archéologue et l'analyste,
- examiner en détail les résidus organiques visibles afin de documenter plus en détail la dernière utilisation de l'objet avant son dépôt (ex. aspect, répartition d'encroûtements, de coulures, etc.).

Pour un même objet, plusieurs prélèvements peuvent être effectués afin de répondre au mieux aux questions archéologiques et chimiques établies précédemment, notamment l'utilisation de l'objet. Ils sont menés suivant des protocoles adaptés aux types de résidus et aux matériaux recherchés.

Les colorants organiques constituent une dernière catégorie de matérieux organiques susceptibles d'être conservés en contexte archéologique. Ils sont généralement repérés à l'oeil nu par la couleur donnée aux fibres textiles. Leur étude peut être menée suivant une approche non-destructive pour l'objet (spectrométrie Raman) ou une approche structurale (HPLC-MS) non-invasive mais destructive car nécessitant l'extraction des agents colorants.

Guide pratique Bioarchéo 2014